LES TORPILLEURS  -  1865-1910

 

 

Les prémices

 

Le glaive et la cuirasse … l’éternel course entre attaque et défense.

A peine les premiers cuirassés étaient en service qu’ils étaient la cible d’armes peu coûteuses, en comparaison, et surtout efficaces ; Les torpilles et autres mines portées venaient d’apparaître. En 1865, les enseignements de la guerre de Sécession allaient bouleverser les doctrines des états-majors des différentes marines en cette fin de 19ième siècle.

Le torpilleur est né de ce bouleversement ; transporter des torpilles sur un navire de faible tonnage, discret, rapide et d’un faible coût, tel allait être le défi des ministres, amiraux et ingénieurs.

 

Des premiers projets où l’on adapte des engins sur hampe, chargés de 6 à 8 kg de poudre, sur des canots télécommandés, on  évolue vers de petits bâtiments utilisant la torpille ‘automotrice’ (1er essai de la torpille Whitehead en 1864).

Les contraintes budgétaires – déjà – ne peuvent que favoriser la constitution de flottilles de petites unités de défense des rades et estuaires.

Il faut distinguer les projets de ‘porte torpille’ qui oblige à venir au contact de l’ennemi et de ‘lance torpille’ qui donne une marge de sécurité. Au début on tâtonne sur des projets de 10 à 15 tonnes, d’une vingtaine de mètres filant 16 à 17 nœuds. Petit à petit tonnage et gabarit augmentent (1877 : 27 à 33 tonnes pour 27 m). Dans le même temps la Marine réalise des tubes lance-torpilles à chasse à vapeur (été 1874), à air comprimé (juillet 1878) et à poudre (avril 1879). Plusieurs constructeurs commencent à se distinguer dans cette course aux performances : les Anglais Thornycroft, Yarrow et les Français Normand, Claparède et les Forges et Chantiers de la Méditerranée.

 

         

 

Le principe du torpilleur est validé lors du conflit russo-turc en 1877-1878 lorsque les Russes coulent plusieurs navires de ligne Ottoman.

En 1884 on compte 115 torpilleurs dans la marine russe, 50 en France, 22 aux Pays-Bas, 18 en Italie, 17 en Autriche, 19 en Angleterre et quelques-uns dans chacune des autres marines. A cette époque le torpilleur est un fuseau étroit aux œuvres mortes très basses, long de 25 à 33 mètres dont le déplacement dépasse rarement une cinquantaine de tonnes. Il est propulsé par une machine ‘compound’ à 2 ou 3 cylindres de 300 à 500 CV, doté d’une chaudière de type locomotive et son approvisionnement en charbon lui assure en général un rayon d’action à pleine vitesse (20 nœuds) de quelques heures et de 300 à 400 milles à 10 nœuds. Beaucoup n’ont encore que des torpilles portées et ceux armés de modèles automobiles les lancent au moyen de tubes mais souvent aussi ces engins sont maintenus le long de la coque au moyen de pince tenailles. L’équipage comprend 1 ou 2 officiers et une quinzaine d’hommes dont les conditions de vie sont très pénibles ; trépidation continuelle des machines qui produisent des à coups et font trembler la coque, mais aussi exiguïté du bâtiment.

 

      

 

  

 

 

 

 

 

Si au début le torpilleur est limité aux eaux côtières dans un rôle de défense mobile, assez vite les évolutions lui ouvrent la haute mer.

Le débat entre les tenants des valeurs traditionnelles (flotte de bâtiments cuirassés)  et la ‘Jeune Ecole’ (en faveur de flottilles de petites unités mobiles) est à son comble dans les années 1880. Les articles d’opinion foisonnent dans la presse et les passions se déchaînent jusque dans les salons !

 

En 1887, une série de 51 bâtiments commence à entrer en service – surnommés ‘dos de chameaux – ce type fut considéré comme raté car fruit d’atermoiement dans leur conception. Primitivement de 41 m ils furent redessinés et réduits à 35 m sous la pression de cette ‘Jeune Ecole’ qui pensait que l’on enlevait au torpilleur sa qualité essentielle de bateau invisible en le faisant grossir. Des compromis qui en découlèrent, résulta une série de navires instable à la mer (chavirage du 102 et naufrage du 110 en 1889 sans parler des nombreux incidents) aux performances médiocres. En dépit de modifications importantes, ils furent toujours inférieurs au type précédent ‘33 mètres’ de Normand.

 

 

 

L’apogée

 

On peut situer cet apogée entre les années 1887 et 1895. Les réalisations des chantiers Normand dominent cette période. Après les déboires du type ’35 m’ on s’adresse à lui (il avait été le seul constructeur à refuser de participer au programme ‘dos de chameau’). Le chantier du Havre étudie alors successivement les types 126 (36 m, 72 t et 21 nœuds), 130 nommés ‘ventre à terre’ (34 m, 52 t et 720 CV avec une nouvelle chaudière à tube à eau à montée rapide en pression et machine double expansion), et 145 en 1890 (36 m, machine à triple expansion de 1350 CV et 24,5 nœuds).

 

  

 

 

A partir de 1896, la Marine française décide d’unifier le type de ses torpilleurs de ‘défense mobile’ et emprunte à Normand ses plans et les impose sans modification aux autres chantiers. Le déplacement passe cependant à 78 tonnes (1894 torpilleur-182 de 36 m) puis à 83-85 tonnes (1897 torpilleur-201 de37 m) et enfin à 99-102 tonnes (torpilleur-295 de 38m) pour les derniers 'numérotés' commandés à partir de 1903. Ils entrent en service en 1907. Ces unités de 38 m, servies par 2 officiers et 21 hommes d'équipage, ont une machine de 2000 CV, sont armés de 2 canons de 37 mm à tir rapide et de 3 tubes lance-torpilles dont un d'étrave. Ils filent 26 nœuds et leur rayon d'action atteint 1800 milles à 10 nœuds.

 

 

Outre les torpilleurs 'numérotés', la Marine française  fait construire à partir de 1884 des unités plus importantes qualifiées d'abord de 'torpilleurs éclaireurs' puis de 'haute mer' car censés pouvoir accompagner les escadres. Plusieurs modèles sont commandés : le type OURAGAN des Chantiers de la Loire (46 m, 114 tonnes et 20 nœuds), le type AGILE des Forges et Chantiers de la Méditerranée, le COUREUR de Thornycroft (45m, 104 tonnes et 24 nœuds) et le plus intéressant l'AVANT GARDE (42 m, 112 tonnes, 25 nœuds, le premier avec une double hélice, la chaudière a les mêmes perfectionnements que le type 126).

 

 

D'autres modèles vont suivre de 1893 à 1895 avec des performances toujours améliorées. Le CHEVALIER (27 nœuds) et le FORBAN (2 chaudières à flamme directe et 2 machines à triple expansion pour 3975 CV et 31 nœuds en 1895. Ces performances sont le résultat d'améliorations incessantes apportées à tous les organes de l'appareil propulsif par P. A. Normand. Ainsi les problèmes de vibrations si caractéristiques des torpilleurs finissent par être résolus.

Des modèles avec ceinture de blindage en acier de 24 mm en partie centrale sont construits (180 tonnes et 28 nœuds).

Les derniers torpilleurs de haute mer construits en France sont les 5 unités du type BOURRASQUE non blindés (1901, 158 tonnes et 31,5 nœuds avec 4500 CV)

 

 

En Europe, de très nombreux torpilleurs sont lancés entre 1885 et 1895. Les constructeurs les plus réputés alors sont Thornycroft, Yarrow, White, Laird, Thomson en Angleterre, Schichau en Allemagne, Orlando et Pattison en Italie.

Des essais de recette, mettant en lice les produits de différents constructeurs sont menés par les marine russe et espagnole et à chaque fois les bâtiments des chantiers A. Normand ont les meilleurs résultats. Cette qualité des chantiers havrais leur permet de remporter de nombreux contrats à l'exportation : 17 de type Cyclone au Japon, 19 de type Dragon en Russie, 2 Forban aux USA, le type Bourrasque est produit à 22 exemplaires en Espagne et plusieurs type 'numérotés' sont adoptés au Japon (30), Grèce (18), Roumanie (6), Russie (9), Suède (17), Danemark (11), Turquie (4) et Bulgarie(6)].

 

D'ailleurs lors des opérations navales des guerres sino-japonaise, russo-japonaise et balkanique, ces petites unités se montèrent d'une endurance et d'une robustesse à nulle autre pareilles. Mais le contre-torpilleur avait déjà fait son apparition et allait signer la fin du concept du torpilleur, ce lévrier des mers qui eut son heure de gloire pendant près d'un demi-siècle.

 

 

 

D'après le livre Les lévriers de mers édition Horizons de France -1948