LES CONTRE-TORPILLEURS FRANÇAIS (1895-1909)

 

 

L’époque qui a vu l’apogée du torpilleur vit également apparaître le destroyer ou contre-torpilleur, construit comme antidote du précédent et qui devait rapidement supplanter celui-ci. En 1892, 1260 torpilleurs étaient en service ou en construction dans le monde : en tête, la France avec 220 de ces petits bâtiments, puis la Grande Bretagne avec 186, la Russie avec 152, l’Allemagne avec 143 et l’Italie enfin avec 129 unités.

La Grande Bretagne ne partageait pas la foi des autres marines dans la destinée des torpilleurs et se préoccupait plus que les autres des moyens de les combattre. En même temps que plusieurs autres pays, l’Amirauté britannique avait donc cherché, à partir de 1895, à réaliser les contre-torpilleurs, les avisos torpilleurs, les canonnières torpilleurs des nomenclatures navales de 1890. Les Britanniques les appelèrent aussi ‘torpedo catchers’.

 

 

De 1885 à 1892, plusieurs formules furent essayées, mais à l’exception de l’espagnol Destructor, aucun de ces bâtiments de 400 à 1200 tonnes ne dépassa 20 nœuds. Les ‘catchers’ britanniques, en particulier, pêchaient par manque de qualités nautiques et insuffisance de robustesse des machines.

 

 

En France, où on avait suivi avec intérêt les essais des destroyers anglais, le Conseil des Travaux et les escadres proposèrent, en 1895, de construire des bâtiments ayant un plus grand rayon d’action que les torpilleurs de haute mer, plus robustes aussi et qui fileraient 24 nœuds vrais en peine charge. L’étude en fut demandée à Augustin Normand et Cie au Havre qui venait de proposer de sa propre initiative un grand torpilleur de 285 tonnes, utilisable au besoin comme contre-torpilleur. A. Normand remit son projet définitif le 18 février 1896 : ce devait être la Durandal, prototype des destroyers français, long de 55 m, large de 5,85 m, ayant un tirant d’eau de 2,25 m et qui déplaçait 308 tonnes. Le rapport longueur/largeur de 8,7 contre 10,5 pour les destroyers anglais doit être souligné ; le fait aussi que la coque, très robuste, absorbait 32,7 % du déplacement. La différence à cet égard avec les bâtiments anglais était même plus sensible encore, car Normand avait diminué le volume des œuvres mortes par rapport aux vives en adoptant un pont de manœuvre à caillebotis placé 80cm au dessus de la coque, dont le franc-bord avait pu être limité au strict nécessaire. Grâce à cette disposition originale l’artillerie avait un meilleur commandement que sur les bâtiments anglais : 2,55 m au lieu de 2 m, la sécurité de l’équipage était accrue par mauvais temps et la vitesse se conservait mieux par grosse mer.

 

 

La Durandal n’était pas moins remarquable par son moteur. Elle n’avait que deux chaudières et celles-ci ainsi que les deux machines étaient placées dans quatre compartiments distincts. Disposition propre à atténuer les vibrations de la coque, les machines se trouvaient entre les chaudières. Normand n’avait pas renoncé non plus, ainsi que les constructeurs anglais l’avaient fait dans un but d’économie de masse mal entendu, à l’emploi d’accessoires comme les enveloppes de cylindres et les réchauffeurs d’eau d’alimentation ; il avait préféré, d’autre part, une activité de chauffe modérée et une vitesse de rotation des machines de 300 t/mn, inférieure de 25 % à celle des destroyers britanniques. Il faut encore souligner la légèreté de la chaudière Normand comparativement aux contemporaines, son meilleur rendement thermique aussi – chacune pouvait donner 2600 CV – et la moindre consommation des machines. Malgré la modération de la chauffe et de l’allure des machines, le poids par cheval de l’appareil propulsif complet – 112 tonnes seulement – était moindre sur la Durandal que sur les bâtiments anglais. Quant à la consommation de charbon par CV/heure, elle était, à toute puissance, de 0,8 kg contre 1,4 kg pour les anglais.

La Durandal, prévue pour 26 nœuds, réalisa à son essai officiel du 9 mai 1899, 27,42 nœuds par un temps médiocre. Entré en escadre le mois suivant, le nouveau bâtiment y affirma aussitôt d’excellentes qualités nautiques et – sans pousser les feux – soutint 25 nœuds en service courant et en pleine charge.

Ces résultats étaient d’autant plus satisfaisants que les contre-torpilleurs français effectuaient leurs essais beaucoup plus lourdement chargés que leurs similaires britanniques.

La Durandal servit de modèle aux 55 contre-torpilleurs construits pour la France jusqu’en 1906 ; il en fut également lancé 16 répliques pour la Russie (Normand et Forges et Chantiers de la Méditerranée) et 4 pour la Turquie (Schneider).

Le contre-torpilleur français de 300 tonnes se développa pendant cette période sans modifications notables mais dans des conditions qui permirent d’accroître la vitesse. Le record fut atteint en 1903 par l’Arbalète de Normand avec 31,37 nœuds et 7200 CV. Il faut noter que ces petits bâtiments firent preuve d’une excellente fiabilité et ignorèrent les épidémies de ruptures de tiges de piston et les fêlures de cylindres qui marquèrent la carrière de ‘27’ et des ‘30’ nœuds britanniques aux machines trop poussées et insuffisamment robustes.

 

 

 

En 1902, la marine française voulut faire l’essai de la turbine. Elle commanda les torpilleurs de défense mobile 243 (turbines Rateau), 293 (turbines Parsons) et 294 (turbines Bréguet) aux Forges et Chantiers de la Méditerranée, à Normand et aux Chantiers de la Gironde. Les essais eurent lieu à partir de 1904, dans des conditions de réussite très inégales, la palme revenant cette fois encore à Normand aussi bien pour la vitesse (26,48 nœuds) et consommation (à toute puissance 25 % de moins que le 294). Puis en 1906, on commanda une  nouvelle série de contre-torpilleurs de 435 tonnes et 28 nœuds (type Chasseur), dont certains chauffaient au mazout.

 

 

 

On se convainquit alors en France de la supériorité militaire de la turbine ; son adoption entraînait une simplification de la conduite des moteurs, une réduction du personnel mécanicien, une absence de vibrations, une plus grande endurance et de moindres coûts d’entretien. Aux Chasseur succéda à partir de 1909 une autre série à turbines de 700 tonnes de déplacement et 31 nœuds (série Casque Bouclier) ; ce furent les premiers ‘torpilleurs d’escadre’ français – on abandonna alors dans notre marine l’appellation de contre-torpilleurs – dotés d’une teugue élevée les défendant bien contre la mer et cela à l’imitation des destroyers anglais. Les plus rapides furent le Casque (Forges et Chantiers de la Méditerranée) avec 34,9 nœuds et le Bouclier (Normand) avec 35,33 nœuds, la vitesse la plus élevée qui eut encore été réalisée en France.

 

 

 

 

 

D'après le livre Les lévriers de mers édition Horizons de France -1948