SAINT PIERRE         8 MAI 1902

LA FIN D’UN MONDE

 

 

 

L’ILE

 

Christophe Colomb découvre la Martinique en 1502 lors de son quatrième voyage et la baptise Matinina. Elle est alors occupée par des indiens Caraïbes, venus semble-t-il du Venezuela après avoir colonisé les différentes îles de l’arc antillais.

Ce n’est qu’en 1635 que Pierre Belain d’Esnambuc prend possession de l’île au nom du Roi de France. Il jette son dévolu sur une large baie au nord-ouest où il édifie un fort nommé St Pierre. Assez rapidement une ville apparaît et l’île est colonisée. Le site offre un abri en eau profonde et permet d’approcher du rivage les plus lourds vaisseaux. L’eau y est également abondante.

 

 

Au cours de son histoire, l’île subira les assauts des hollandais (1674) et des anglais à plusieurs reprises. Au fil des années, St Pierre devient le centre économique alors que Fort Royal fondée en 1669 en sera le centre administratif.

Le développement économique de l’île est basé sur les plantations produisant tabac, café et assez vite canne à sucre, avec un fonctionnement basé sur l’esclavage ; Seule alternative à l’époque au besoin de main d’œuvre (Les premiers travailleurs immigrés blancs avaient un taux de mortalité très élevé et les indiens indigènes ne pouvaient être soumis). Le commerce triangulaire ou esclavagiste est mis en place rapidement et va perdurer jusqu’à l’abolition en 1848 (Révolte du 22 mai).

Ensuite, avant l’avènement de l’industrialisation et des usines centrales, il sera fait appel à la main d’œuvre étrangère d’Inde, Cochinchine et Afrique Equatoriale. Cette société post-esclavagiste est composée d'autant de niveaux sociaux que l’éventail des couleurs de peau, entre le noir au bas de l’échelle, le métis le plus clair qui dispute sa place au petit blanc et, au sommet les békés qui ne sont qu’une minorité.

 

 

 

Saint PIERRE

 

A la fin du XIXème siècle, St Pierre présente la singularité rare aux Antilles d’être édifiée principalement en pierre (les lests des voiliers de commerce entre autres ont beaucoup servi). Elle s’étend sur un espace étriqué entre la baie et les mornes, avec au nord le quartier du Fort, plus élevé et agréable car ventilé, où résident les békés. Au sud, le quartier du Mouillage est populaire et pauvre. Ici habitent les immigrés et les noirs.

 

 

St Pierre est une ville d’eau. Elle coule en permanence dans les profonds caniveaux qui longent les rues. Cela évite aux pierrotins les moustiques et leur rafraîchit l’atmosphère.

Depuis 1870, le télégraphe arrive et St Pierre peut communiquer avec Fort de France, la Guadeloupe, les îles anglaises et le monde entier. Depuis la Chambre de Commerce, les commissionnaires et négociants traitent leurs affaires avec les principales villes portuaires de France, Angleterre, Etats-Unis et Canada. A coté sur la place Bertin, ce sont des noirs qui s’activent à charger et débarquer fûts de morue, tonneaux de mélasse ou de rhum et caisses diverses. L’ambiance y est particulière et l’odeur nous paraîtrait épouvantable.

 

 

 

Mais en ce début de XXème siècle, l’économie n’est plus aussi florissante. Les cours du sucre sont en chute depuis déjà pas mal de temps avec la concurrence de la betterave de métropole. Et même le rhum qui a pris le relais a également tendance à baisser. Signe des temps, le port ne présente plus tous les avantages. Coffres et corps morts trop légers et pontons branlants ne peuvent recevoir les navires les plus modernes de gros tonnage. Certes de nombreux voiliers continuent de venir mais Fort de France accueille avec ses quais, paquebots et grosses unités et les transferts de marchandises y sont plus aisés.

 

 

 

En 1902, St Pierre compte près de 26000 habitants. En avril, le premier tour des élections est prévu le 27 et le second le 11 mai. La politique passionne les pierrotins, les débats entre conservateurs blancs aux commandes et métis plutôt socialistes à travers les journaux Les Antilles réactionnaire et Les Colonies républicain tournent souvent aux invectives, voire au pugilat. L’enjeu est donc important et explique entre autres que peu de pierrotins aient évacué la ville alors que la Pelée s’est réveillée courant avril (en réalité diverses manifestations situent ce réveil à début 1900).

 

 

 

 

 

LA MONTAGNE PELEE

 

La montagne Pelée se situe pratiquement au centre de l’arc volcanique des Caraïbes qui s’étend entre le Venezuela et Haïti sur près de 1000 km. Sa formation est estimée remonter entre 200.000 et 300.000 ans.

On pense qu’elle a déjà explosé vers l’an 1300, puis en 1630 peu avant la colonisation. D’autres manifestations, de moindres importances, ont eu lieu en 1792 avec des pluies de cendres et de roches et en 1851 où des ‘canonnades’ retentirent et des cheminées sulfureuses apparurent.

 

En 1902, les signes annonciateurs de l’éruption débutent vers le 20 avril avec la formation d’un lac dans le cratère de l’Etang Sec.

Après le 25, on note des variations inhabituelles du débit des eaux de la Rivière Blanche.

Le 30, de fortes secousses sismiques sont ressenties à St Pierre. Dans la nuit, de fortes explosions phréatiques retentissent, suivies d’importantes retombées de cendres sur Le Prêcheur.

Le phénomène s’amplifie le 02 mai et la nuit suivante touche St Pierre et même en moindre proportion une grande partie de l’île.

Le 03 mai, les explosions phréatiques se poursuivent.

Le 05 au matin, les cendres tombent continuellement sur Le Prêcheur (5cm d’épaisseur) et les premiers nuages bleutés apparaissent au sommet de la Pelée. Vers 12h30, une énorme coulée de boue (lahar) dévale la Rivière Blanche et emporte la distillerie Guérin, faisant 23 victimes.

La nuit suivante, les lueurs bleutées typiques des gaz magmatiques et des rougeoiements illuminent le sommet : le magma a atteint la surface et un dôme de lave s’édifie. Les cendres retombent en continue sur Le Prêcheur et de manière sporadique sur St Pierre.

Le 07 mai, des ‘nuages’ roulent depuis le cratère dans la Rivière Blanche et stoppent à mi-pente. Ce sont les premières nuées ardentes correspondant aux premiers écroulements du dôme. On note également de nombreuses crues et coulées de boue sur la plupart des rivières autour du volcan : Grand’ Rivière, Macouba, Basse Pointe, Ajoupa Bouillon et même Le Lorrain sont touchés. Dans la nuit les orages incessants et les pluies diluviennes entraînent des coulées de boue dont une à 3h du matin engloutit les habitations du Prêcheur causant la mort de 400 personnes.

Le 08 mai, jour de l’Ascension, la situation est calme à St Pierre. Après une nuit éprouvante, la ville se réveille sous le soleil et un ciel bleu. Les pierrotins sont rassurés alors qu’ils commencent à se rendre en nombre vers les églises et la cathédrale. Mais vers 06h30, une explosion libère un gros nuage très sombre qui se déplace vers la ville. Il éclipse le soleil quelques instants en saupoudrant de cendres les bateaux de la rade. D’autres explosions semblables surviennent à intervalles réguliers générant d’énormes volutes.

 

 

08h02 :            Un grondement terrifiant attire l’attention des habitants. D’après les quelques témoins survivants, le ciel s’embrase, des colonnes de fumées denses s’élèvent et le sommet de la montagne se déchire laissant une masse sombre se déployer et enfler en moutonnant de manière stupéfiante. La nuée se met à dévaler les flancs de la Pelée et cette masse d’énergie se dilate encore à une vitesse incroyable en bombardant et balayant tout. L’apocalypse déferle sur St Pierre. Le souffle volcanique couche arbres et édifices, dévore tout en brûlant toute forme de vie.

A peine plus d’une minute et tout est consommé : la ville a disparu.

Des incendies alimentés par les dépôts de rhum et les diverses marchandises vont sévir plusieurs jours, achevant la destruction.

Le bilan s’élèvera à 28.000 victimes. Il est aussi élevé car si un certain nombre de pierrotins aisé a quitté la ville, nombre de réfugiés des environs était venu y trouver un abri et la plupart des habitants n’avaient pas les moyens de quitter la ville. Seuls Louis Auguste Sylbaris dit Cyparis, détenu au cachot et Léon Compère-Léandre, cordonnier ont survécu dans la ville. Quelques dizaines de marins seront recueillis par le croiseur Suchet venu porter secours.

 

 

D’autres nuées suivront les semaines suivantes dont celle du 20 mai qui parachèvera la destruction de St Pierre. Le 30 août, Morne Rouge et ses environs sera à son tour anéantie avec près de 1200 victimes.

Cette catastrophe déclenchera un élan de générosité mondiale sans précédent, dont l’île aura vraiment besoin. Les richesses, supposées ou non, enfouies attireront des hordes de pillards. Des rumeurs, générées par des allégations des conservateurs, insinuent bientôt que le pouvoir, à travers le gouverneur, a tout fait pour maintenir les électeurs à St Pierre et faire barrage aux républicains conservateurs. Un sacrifice pour des raisons politiques !

 

 

 

La moitié de la population blanche de l’île, presque toute l’élite métisse et tous les noirs de St Pierre ont disparu. Le sixième de la surface de l’île est brûlé et recouvert de cendres.

St Pierre est rayé de la liste des communes de France le 11 mars 1910.

 

 

 

Les études menées a posteriori par Alfred Lacroix détermineront une éruption de type péléen correspondant à un volcan andésitique caractérisé par un magma riche en silice, très visqueux et générant des écoulements pyroclastiques.

 

 

St Pierre, aujourd’hui, offre le spectacle d’une baie enchanteresse mais, à y regarder de plus près, la cité semble végéter depuis ce jour maudit ; Un sommeil imposé par la Pelée.

La ville souffre d’un manque d’entretien et d’investissements, mais aussi d’une volonté d’aller de l’avant. A l’exception des embellissements du centenaire, la ville est résolument tournée vers son passé et son ancienne gloire de ‘Petit Paris des Antilles’ semble la fasciner. Ce passé est symbolisé par les ruines et vestiges présents partout ; Devoir de mémoire mais aussi fardeau.

La Montagne Pelée, comme une malédiction, semble toujours recouvrir la ville d’une chape qui la maintient étouffée, annihilant toute velléité de développement.

 

 

 

Bibliographie :

                                                                       Apocalypse à St Pierre                                                            2007            Larousse

                                                                       Les épaves du volcan                                                              1997     Glénat

 

Liens :

                                                                       Centre découverte des sciences de la terre - St Pierre

http://www.e-monsite.com/cdst/accueil.html

                                                                                              Université d’Orléans

http://www.univ-orleans.fr/sciences/GEOLOGIE/res_ped/volcano/pelee2002/index.htm